Vous savez ce que cela fait d’être la première ? La première d’une longue portée de dégénérées ? Oui. Il faut être à la hauteur. Montrer la voie, ce genre de conneries.

Mon histoire commence comme toutes les autres. Notre père, pas celui qui est aux cieux, non, le vrai, l’unique, il a pris une meuf et l’a engrossé. A partir de là, rien ne pouvait aller. Une fois, j’aurai compris, mais six. Bon sang, six fois. Il pouvait pas doser ? Mais c’est notre paternel, il faut bien qu’on tienne notre propension à faire des excès de quelqu’un. Manque de chance, c’est le diable, et nous sommes ses princesses.

Au début c’était sympa, j’étais seule. Seule, mais affublée d’une jalousie maladive. Au palais, on se souvient encore de mes crises, celles qui me poussaient à écraser la tête des autres contre le mur dès l’instant ou je voyais qu’ils avaient un meilleur jouet. Il parait que c’est normal, parce que j’ai en moi un péché capital. Vous savez ce qu’on dit, si c’est normal et si c’est autorisé, alors on peut en abuser. J’ai repeint plus d’une fois la tapiserie avec des matières pas forcément approuvées par un comité d’éthique angélique. Mais on s’en fout, j’suis une princesse, et j’écrase un peu tout le monde. Même mes frangines, parce que c’est comme ça que ça fonctionne aux enfers.

Oui, avoir des petites sœurs quand on est jalouse, c’est peut-être pas le meilleur plan. Papa m’a dit de les protéger, et c’est ce que je fais. Globalement. Hey, il n’a pas dit que je pouvais pas leur mettre la tête dans la merde quand elles me faisaient trop chier. Je suis la plus grande, et vu les boulets qu’elles sont, j’ai le droit d’en profiter. Tant que le vieux ne dit rien, c’est qu’on peut continuer de s’amuser.

J’suis la plus vieille, j’étais ado puis adulte quand elles sont nées. A l’époque, je préférais être seule, dans une bibliothèque avec mes ombres et un bon bouquin, plutôt qu’en compagnie des autres démons. Comprenez-moi, globalement, ce sont tous des bouffons. C’était plus intéressant d’en savoir plus sur mon patrimoine génétique, sur les arts occultes et sur la terre en général, que d’aller torturer le petit Peter après le déjeuner. J’étais une sacrée intello, maintenant que j’y pense. La première de la classe, ce genre de conneries. Ça n' a pas beaucoup changé avec le temps…

Alors ouais, en bonne fille, quand j’ai vu que le vieux faisait aucun effort avec les chiards qu’il pondait, j’me suis dévouée. J’ai rangé les livres et j’me suis fait des amies. Des bouffonnes bien sûr, juste assez nulles pour pas attiser ma jalousie. J’aime pas les gens. J’les ai jamais aimés, alors ça allait pas miraculeusement commencer hein. Pour vous dire, mon seul objectif, pendant que les parents copulaient pour se faire de nouvelles héritières, c’était de garder vivants les petits monstres déjà en lice. Même si, bien souvent, cela voulait dire les protéger de moi, de ma jalousie, et de mes ombres. Sportif comme programme, y’a clairement eu des loupés.

Que voulez-vous, les sisters, elles sont finies à la pisse. Et comme le vieux est super occupé avec son travail, c’est à moi qu’il demande pour l’épauler la plupart du temps. Déjà à l’époque, et encore maintenant. Même pas à sa meuf, oh, faudrait pas qu’elle se casse un ongle la pouffiasse ! De toute façon, dès le début, j’ai eu l’impression que j’étais baisée. Dès l’instant ou j’ai vu ma première cadette, j’ai su que ça allait franchement merder.
J’me souviens d’une fois ou j’ai faillit tuer la quatrième. Bon sang, j’avais tellement envie de l'étouffer celle-là. Mes ombres ont même essayées, avant que je ne les stoppe en plein travail. Faut dire qu’elle avait une jumelle, et les vieux les avaient associés déjà en paire. Impossible de la faire disparaître juste parce que ses chicots poussaient et que j’avais la haine. Dommage.

J’en ai poussé une dans l’escalier, une fois. Je sais plus laquelle par contre. Je me souviens juste qu’elle a hurlé, c’était drôle, j’ai bien rigolé. Mais bon, parce que je les martyrisaient régulièrement, d’autres ont fini par croire qu’ils le pouvaient. Les bouffonnes de tout à l’heure, mes amies les plus proches, pour ne citer qu’elles. A l’époque, elles ont tenté quelque chose sur l’une des plus jeunes. Là encore je ne me souviens plus laquelle, ni en quoi cela consistait, mais ce n’était pas vraiment important. Le fait est qu’elle a osé. Et si j’ai le droit de les taquiner, je savais que notre père jamais n’aurait accepté que quelqu’un d’autre en fasse autant. Alors, amies ou pas, je les ai éclatées.

C’est pour ça que j’ai mauvaise réputation aussi. Je suis la fille du diable qui trahit tout le monde, c’est pas tant une question de quand je vais les planter, mais plutôt de comment je vais les achever. Ça a commencé avec mes premières amies, puis avec tous ceux qui ont suivi. C’est fou, ils en ont mit, du temps, à comprendre qu’on ne touche pas aux frangines. Ils en mit du temps, à comprendre que partout ou elles foutaient la merde, je ramassais. Amis, amants, rien à foutre. Je suis le putain d’agent d’entretien.

Oh, il y a eu des nourrices. Bien sur, putain, avec autant de gosses encore heureux. Mais ça ne fait pas tout les nourrices. Surtout quand elles ont trop peur de leur patron pour oser canaliser leurs gamines surexcitées. Non plus sérieusement, j’me souviens plus du nombre de fois où j'ai été réveillée en pleine nuit à cause d’un cauchemar. D’une dispute qui tournait en pugilat, ou tout simplement parce que l’une de ces demoiselles voulait que je casse la gueule de quelqu’un.

Donc ouais, ya certains moments j’ai peut-être un peu abusé, mais la plupart du temps, j’ai quand même sacrément assuré. Agent d’entretien j’vous dit. Et tout ça en ayant envie de les crever tellement j’étais jalouse. J’dois être tarée, ou masochiste, surement les deux qui sait, j’ai arrêté de réfléchir à la question le jour ou le paradis m’a fermé ses portes au nez en rigolant.

Oula, ça doit être mon secret le plus honteux, alors, j’veux pas que ça se sache. Même pas en rêve, je saurais ou chercher si ça s’ébruite, pigé ? Bref, j’étais ado, ma mère était enceinte, je ne me sentais nulle part à ma place. Ouais, j’en connais un rayon sur le paradis, ouais j’ai tenté ma chance et oui j’me suis fait recal comme une petite pute devant l’entrée d’une boite de nuit. C’était honteux, mais papa est venu me chercher. Il n’a rien dit, je crois qu’il a compris. Ce jour-là, il m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé ce que je voulais faire. Moi ? J’avais trop la rage, j’voulais butter de l’ange, et plus vite que ça.

Nos parents, ils ne prennent que les bons côtés de la parentalité ces petits fumiers, mais parfois, dans de rares moments, ils assurent. C’était un de ces moments-là. Putain comment ont les a déplumés les poulets. C’était jouissif. On les a campés pendant dix jours, et on a réduit leurs effectifs d’un bon tiers avant qu’ils ne comprennent ce qui se passe. Meilleur moment de ma vie j’crois.

Qu’on me dise pas que les vieux nous aiment pas ou qu’ils ne sont pas présents. Disons que c’est une autre façon de faire. Ils se sont intéressés aux petites qu’à partir de leurs dix ans, quand ça commençait à devenir moins relou, mais à côté de ça, ils ont été un peu beaucoup regardant sur qui avait le droit ou pas de les approcher. Ils prennent que les bons côtés j’vous dis ! Quand ça ne va pas, papa fait les gros yeux, papa tape du poing sur la table, mais au final, il envoie toujours quelqu’un au casse-pipe à sa place. Et ce quelqu’un, c’est trop souvent moi. Bah oui, elles ont plus tendance à m’écouter. C’est un peu normal tu me diras, vu que je les ai élevées ducon !

Sérieux, ça me crève de jalousie que ce sont eux qui sont bien vus par les cadettes, et moi qui passe pour la bouffonne de service. Oui je suis jalouse. Et vous voulez savoir, je m’en tartine le steak de votre opinion ! J’suis jalouse de voir que je suis toujours mise à l’écart. Pas une mère de substitution, mais pas non plus une frangine avec qui faire les 400 coups. J’suis jalouse de pas avoir eu d'adolescence ! De pas avoir eu quelqu’un pour me dire d'arrêter de cogner sur le petit Mathew. J’suis jalouse parce que ma vie sexuelle à chier, et que tant que j’aurais des frangines encore vivantes, ça risque bien de rester en l’état ! J’suis jalouse pour tout. Mais heureusement, je sais comment gérer.

De toute, aucun des monstres n’a conscience de mes efforts. J’suis juste la grande sœur sympa mais pas trop qu’on appelle quand ça va mal. J’suis vieille, puissante, et suffisamment impliquée dans leurs vies pour accepter de déplacer ma carcasse.

Ce qui nous amène à ce jour précis. Ce jour où l'une des jumelles est venue me voir en chialant pour m’avouer à quel point elle avait merdé. J’avoue, j’étais plutôt contente qu’on vienne me solliciter, avant de voir l’ampleur de la daube. Parce que me demander un truc simple serait et bien… trop simple, il a fallu que Sivanah me pose devant un ultimatum. Autant vous dire, j’ai amèrement regretté de ne pas l’avoir déjà tuée. Putain, qu’est ce que j’ai hurlé ce jour la. Je crois même que j’ai fracassé un ou deux ordinateurs dans la foulée.

Vous vous rendez compte ? Elle a perdu une frangine, et pas n’importe laquelle, la plus fragile de toutes ! Celle qu’il fallait protéger absolument ! Et ou ça, dans un paradis artificiel ! C’était trop pour moi. Non sérieux, je peux tout encaisser, sauf le fait de perdre un des monstres. De un, le vieux ne me le pardonnerais pas, et de deux, moi même je ne me le pardonnerais pas. Alors j’ai fait quoi ? Mon job, j’y suis allée. Histoire de vérifier comment réparer tout ce merdier.

Enfin, j’ai quand même demandé tous les renseignements à la quatrième avant de plonger. Et une chose est revenue, le compte de droit. Pas de larcin, pas de meurtres, ça allait être compliqué avec mes ombres qui faisaient ce qu’elles voulaient. Mais comment me protéger tout en gardant les frangines en sécurité ? Vous ai-je déjà dit que j’ai mauvaise réputation ? Que je suis la fille du diable qui trahit tout le monde, et que ce n’est pas tant une question de quand je vais les planter, mais plutôt de comment je vais les achever ? Pour la première fois de ma vie, j’ai pris la décision la plus radicale qu’on puisse prendre. Je me suis amputée d’une partie de moi-même.

Je suis une intello, il serait con de dire que je n’avais jamais anticipé ce besoin. J’avais fait des recherches sur des sorts de contentions. Alors, avant de rejoindre Sivanah, et dans le plus grand secret, j’ai enfermé mes treize plus proches amies dans un tatouage sur mon dos. Indélébile. Indéfectible. Je me suis sentie mourir ce soir-là, mais c’était la décision la plus sage à prendre. Je devais aller sauver deux de mes petites sœurs du monde qui les avaient prises au piège.