Le jour de son jugement venait de sonner, c'est difficilement qu'Isayah ouvrit les yeux. Il se sentait terriblement mal, tout son corps lui hurlait de lâcher prise. Pourtant, il résistait. Son mental ne lâchait pas, il s'accrochait encore et toujours. Il essuya une douzaine de coups de pied avant de se lever docilement, suivant les gardes qui l'emmenait jusqu'à la cour intérieure de justice. Alors, c'était ici que son destin allait se jouer ? Très bien. Il afficha un sourire narquois, presque provocateur. « Isayah, l'enfant béni par Ildrya elle-même ! C'est un plaisir de t'accueillir dans mon tribunal. J'imagine que tu sais pourquoi tu es là... » Les multiples plaques couvrant son corps lui brûlaient la peau, le faisant grimacer à ses paroles. « Évidemment que je le sais. »  Répondit-il avec nonchalance, balançant sa tête sur le côté. « ... Mais quelle version voulez-vous entendre ? La vôtre ou la mienne ? » La juge lui faisant face conservait sa froideur, ne prenant pas la peine de répondre à une question aussi futile. Isayah le savait, il devait se défendre. Maintenant, il devait s'expliquer. Le crime pour lequel on avait marqué la peau de son cou, il y a de cela quelques jours. Dans sa langue natale, cela correspondait à une série de chiffres indiquant le crime pour lequel il était jugé. En ce qui concernait Isayah, il avait une suite de 0 sur le cou, référencé comme “crime de guerre à l'encontre de la paix intergalactique.” L'un des plus graves, les plus impardonnables.


Un siècle avant son procès, Isayah vivait dans son palais doré, sur sa planète d'origine. Il n'était pas loin de la majorité lorsqu'ils accueillirent un vaisseau marchand sur leurs terres. Pourtant, il n'avait de “marchand” que le nom, leurs intentions se révélant bien différentes lorsque Isayah se présenta finalement à eux. Les membres de l'équipage, bien qu'ayant une silhouette humanoïde, n'avaient que très peu de leurs caractéristiques. Isayah s'approcha de ce qu'il lui semblait être le leader, enclenchant la discussion avec un fin sourire, tout juste approprié à la situation. « Nahanouk, je suis enchanté de vous accueillir sur les terres d'Ildra, mère de l'abondance. Je suis la personne que vous cherchiez, Isayah. » Il s'inclina par politesse, jugeant ce qu'il avait devant les yeux. La créature lui faisant face avait davantage du loup que de l'homme. Il portait une lourde pièce d'armure à son épaule droite. Ses yeux étaient bioniques et les pièces de métal qu'il avait utilisé pour sa cuirasse provenaient de sources différentes. Il n'en fallut pas plus pour comprendre à qui il avait à faire. Une pointe d'angoisse traversa la gorge d'Isayah durant un court instant.

« J'ai entendu bien des choses à votre propos, aussi assassines que bienveillantes, mais ce qui a retenu mon attention n'était pas de simples rumeurs. Vous seriez différents de vos prédécesseurs, c'est pourquoi je voulais vous rencontrer. Il y a, en cette galaxie, une planète fort inhospitalière. Personne n'y a jamais posé de vaisseau, n'y foulé le pied. Je m'y suis penché, curieux d'en apprendre plus à son propos. Mes recherches furent récompensées par la découverte d'un minerai hors norme, capable de façonner des armes pouvant ôter la vie aux innombrables créatures de cette galaxie ! Même les divinités ne feraient pas le poids ! » Au début, le jeune dragon n'en crût pas un mot. Cependant, rapidement, cette question de croire ou non en ces paroles devinrent inutiles, parce que le loup poursuivit. « Isayah, je ne pense pas que vous soyez bête au point de signaler ma présence aux autorités intergalactiques. J'imagine que vous pouvez nous accueillir, moi et mes hommes, le temps que vous preniez une décision. À votre place, je ne tarderais pas ! » Un ricanement sortit de sa gueule, tournant les talons à l'enfant béni.

Isayah était figé, les yeux plongés dans le vide. C'était comme s'il ne pouvait plus que contempler l'infinité de son impuissance. Cet équipage... il y avait une somme astronomique à leur encontre. Leurs crimes ? La destruction de multiples planètes. En réalité, Isayah devait choisir entre la peste et le choléra. Mourir rapidement et éteindre son peuple sous les tirs des vaisseaux ennemis... ou accepter, ce qui allait également lui engendrer d'innombrables problèmes. Pourtant, il ne pouvait pas rester sans rien faire ! Sans tarder, il rejoignit celui qui lui avait posé cet ultimatum, cherchant à négocier pour se donner la chance d'offrir la liberté à son peuple. Étrangement, son interlocuteur ne se ferma pas à cette proposition. Il en riait même à gorge déployée ! « Ahah, je le savais ! Alors, tu serais prêt à tout perdre ?! » Isayah lui portait un regard confiant et déterminé. « ...Ou tout gagner. »

Finalement, le destin de son peuple se joua sur une partie de dés, qu'Isayah perdu. La honte et la culpabilité l'envahirent, le paralysant un bref instant, le temps de réaliser qu'il venait d'offrir un destin misérable aux siens, en plus de perdre sa propre liberté. Cependant, il était encore loin de s'imaginer l'enfer qui l'attendait. C'est avec le cœur battant la chamade qu'il annonça officiellement leur collaboration avec les mercenaires. Il préférait qu'on le pense avare de richesses, appuyant ses arguments sur l'utilité du minerai et sa capacité à provoquer une révolution dans l'armement. Ainsi commença un voyage vers l'enfer ! Cette planète n'était pas qu'inhospitalière, la toxicité des lieux atteignait des sommets ! Ici, l'espérance de vie était d'à peine 10 ans.

L'atmosphère était irrespirable, brûlant la peau et les muqueuses. Pourtant, Isayah n'en ressentait pas les effets, mais ça n'était qu'une question de temps avant qu'il ne prenne conscience de l'ampleur des problèmes. Pour autant, il n'était pas aveugle aux effets de cette atmosphère sur son peuple. Il implora pour leur liberté, mais la majorité des mercenaires rejoignirent le vaisseau, ignorant les supplications d'Isayah. Depuis leur vaisseau, protégés de cette atmosphère mortelle, ils donnaient les ordres. Cette planète se transforma en camps de travail, mais également en centre de production à l'armement, réduisant toute une population à l'esclavage. À chaque jour passé sur cette planète, le compteur de morts grimpait en flèche. Au contact du minerai hautement corrosif, la peau se détachait du corps, laissant une chair à vif qui finissait toujours par la nécrose. Certains préféraient se détacher d'un membre dans l'espoir de gagner du temps et Isayah était plongé au sein même de toutes ces horreurs, ne pouvant que faire face à son impuissance. Il essayait d'aider comme il pouvait, fendant la roche avec sa queue lorsqu'il était sous sa forme draconnique. Pourtant, tous ses efforts étaient vains. Isayah ne put que les voir mourir à petit feu. Étant béni d'Ildra, il était condamné à vivre. Un dragon ne mourrait pas si facilement. Pourtant, comme l'avait dit le loup, ce minerai pouvait tuer n'importe quoi. Il le constatait à son corps meurtri par les années de travail. Ils en avaient expédiés des cargaisons d'armes... Au bout d'un moment, ils avaient arrêté de compter.

Après la mort des siens, Isayah se retrouva seul, abandonné par les mercenaires qui volèrent vers une autre planète. Ensuite, un siècle s'écoula avant qu'il ne soit emmené par les griffes de la justice, il était enchaîné tel un criminel et traité comme tel. La mauvaise foi présente en ces lieux lui était insupportable, il avait bien compris que toutes les personnes présentes se foutaient bien de sa parole. Ils ne souhaitaient qu'un coupable. Alors, Isayah joua ce rôle, évitant la peine capitale de justesse pour un exil sur la planète mère de tous ses tourments. Ce retour à la case départ le dégoûtait, mais il n'avait pas l'intention de rester. Ses flammes brisèrent le sceau qui entravait sa liberté et il s'envola vers les étoiles. Ildra venait de s'éteindre, lui permettant ainsi d'échapper à ses chaînes. Isayah chercha à se faire oublier, se réfugiant sur de nombreuses planètes, peu fréquentables. Ainsi, il put voir l'impact qu'avaient eu ses nouvelles armes dans les différents mondes de sa galaxie. Il en avait entendu des histoires toutes plus épouvantables les unes que les autres... Et le lien était toujours le même, ce putain de minerai.